
5 ème jour à Fort de France
Le Déluge . enregistrement de Madame Cicéron par Jean-Christophe Lanquetin.
La rue de la Maison Rouge série Catherine Boskowitz
La répétition série Catherine Boskowitz
Cinquième jour
[J-Christophe Lanquetin]
J’aime l’idée que mon histoire se construit au fil des récits qu’on me fait. Ainsi, de jour en jour, elle prend des directions inattendues.
J’invente ainsi ma manière de faire des films.
J’ai une longue discussion avec Marie Elise. Le quartier s’éclaire, la perception s’affine. Il y a une envie de parler de la part d’une génération d’anciens [ce matin j’enregistre Mme Cicéron, 92 ans], ou plus jeune [ma génération], qui mènent une forme de résistance afin que les Terres St Ville continue d’être un quartier où la vie soit possible. Cela oblige à nuancer les présences étrangères, à se questionner, à travailler avec. La possibilité du rejet est latente car ces présences nouvelles prennent aussi des formes incompréhensibles, voire violentes. Chacun à sa manière, se refuse à plonger.
Yves, que me présente Marie Elise, et Jean Michel, interviewé hier, m’emmènent dans le quartier Trénelle. Cela passe par la place du 22 mai, où nous nous arrêtons dans un bar d’amis. Mon travail résonne avec les enjeux du moment, le sentiment que quelque chose d’une ‘identité’ [je dirais singularité] se perd et la lutte pour maintenir cela vivant. Le lieu cesse d’être ce que je projette, s’incarne avec les vies, les visages, les récits que nous croisons en route. Nous montons dans le quartier, allons de maison en maison, je mène mes récits, ce sont Yves et Jean Michel qui expliquent le projet, ils prennent avec moi ce temps de celui qui retraverse un endroit familier en le faisant visiter à un novice. Et les gens nous accueillent. Nous continuerons dimanche matin tôt, dans l’école derrière les barres où un match de foot rassemble chaque dimanche trois générations.
Mon histoire s’anime. Jusque ici je me suis fait des idées [des concepts, des pistes abstraites, issues de mon monde] sur ce que j’allais ‘récolter’. Cela ne correspond évidemment pas, mais on est entré dans la matière vivante des récits, telle qu’elle vient. La question est alors de construire avec ce qui arrive… De trouver des manières de faire ‘fiction ordinaire’, à partir des endroits où sont les gens.
Quelque chose se sédimente, une manière de construire du sens, par le son d’abord, puis par le visible. Je suis maître des images, mais le scénario est un récit construit à partir d’histoires que l’on me raconte. Une position éthique se précise, ma présence et mon regard deviennent plus aisément possibles car construits à partir de ces récits, et non à partir de ce que je vois et projette.