
Fort de France 2ème jour
Photos et carnet de Catherine Boskowitz
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Second jour
[J-Christophe Lanquetin]
Deux après midi que nous marchons dans le quartier et dans la ville, avec Catherine et Marcelle, qui s’occupe des actions culturelles à l’Atrium [Scène Nationale de Fort de France, qui nous invite]. Les questions fusent, il s’agit de prendre la mesure des choses.
Je regarde autour de moi, assis dans un café du quartier des Terres Saintes. C’est là que nous allons travailler, [accueillis par la Maison Rouge, la maison familiale de Christiane Emanuel, devenue lieu chorégraphique]. A quelques mètres, dans la rue, quatre adolescents ostensiblement assis sur le capot d’une voiture défoncée mangent. Dans le bar où nous sommes, une femme assez forte [elle tient le lieu], au service de deux hommes assis, qui boivent. D’autres, plus jeunes, passent, s’asseyent, repassent. Les adolescents s’en vont. C’est calme, mais on sent que cela tourne. De même, lorsque nous marchons dans la rue, des présences tendent l’espace, à proximité des bars, prostituées, hommes jeunes, torse nu, tatoués, en groupe. On croise aussi des personnes qui errent. Simultanément, la banalité d’un quartier urbain, les bruits de l’école, les passants, les gens. Il y a d’emblée une matérialité de la tension dans les énergies contradictoires qui traversent le lieu. Hier, lors d’une rencontre avec des responsables associatifs du quartier, ces présences récentes, gangs, étrangers reviennent implicitement et explicitement. Le passé du quartier est immédiatement raconté comme paisible, une envie de dire ; un sentiment que quelque chose échappe, une volonté de le maintenir le connu en vie. Nous, arrivant avec nos ‘Fictions ordinaires’, sommes d’emblée au milieu de cette tension. D’emblée – le fait même que l’on nous propose de travailler ici – nous semblons comme ‘assignés’ à un coté de l’histoire, celle de gens, martiniquais, qui vivent ici depuis longtemps, voient leur quartier changer, nous parlent d’irruption étrangère, d’insécurité, tentent de réagir [en fait, ce n’est que partiellement le cas, les jours qui passent laissent entrevoir la possibilité d’élargir les rencontres].
Il est à la fois intéressant [l’enjeu est réel] et pas simple d’être plongé en moins de 48 heures au coeur de cette histoire. Une tension s’exprime directement mais si travailler là m’intéresse, comment ne pas être simpliste. Faute de temps, je ne pourrai vraisemblablement pas rencontrer les populations immigrées du quartier, faire que les récits se croisent.
Alors, prendre cette histoire au pied de la lettre ? C’est un paradis perdu qui se raconte. Et nos fictions ordinaires sont peut-être une manière de lui donner une matérialité scénique. Mais je ne me sens pas de le faire contre les nouveaux arrivants. Le faire exister et l’interroger.