
4 ème jour Fort de France
Série de Catherine Boskowitz. Travail avec Yaël Reunif sur vidéo de JC Lanquetin.
Quatrième jour
[J-Christophe Lanquetin]
Je surmonte doucement ma peur [idiote, les gens ont envie de raconter] d’aller à la rencontre. Et commence les interviews ‘fictions’ : un récit, sa bande son, qui, tel quel ou presque, sert de trame à un film que je dois faire avec la complicité des personnes, ou seul. Les deux premières interviews correspondent assez peu à ce que je souhaite. Pas ou peu de projection dans la fiction, ni dans l’espace. Les récits sont des impressions générales, des informations, des souvenirs de personnes brièvement évoqués. Ils installent un sentiment, celui d’un temps passé où tout était bien, un temps de paix et de solidarité. Ils parlent de disparition, des anciens qui sont décédés. Soit j’oriente le dispositif, afin d’entendre de réels récits [il en viendra de toute manière], soit je laisse les choses ainsi et le jeu est d’utiliser cette matière, telle qu’elle est. La seconde option m’intéresse car elle est plus périlleuse, elle raconte où sont les gens.
Michel, interviewé dans sa maison de bois, sort sa collection de cartes postales. La piste du paradis perdu devient évidente. Certaines images sont de belles photos exotiques en couleur, elles montrent la mer, la pèche, les fruits, des ambiances de campagne et de plage, la luxuriance du paysage. Un coté Gauguin-Segalen. On pressent que ces images cristallisent ce que les gens ont en tête lorsqu’ils pensent au passé. Un passé où la campagne est partout. D’ailleurs, l’une des personnes vivant dans la rue est paysan et cultive. Il vend aussi du boudin créole le dimanche matin tôt, aux fêtards qui le week-end envahissent la rue principale, et à tous ceux qui se lèvent tôt [les gens commencent leur journée au lever du jour]. L’histoire du bruit et du calme, de la ville inquiétante, devient plus concrète, ce ne sont pas seulement les étrangers, les gangs, c’est aussi l’invasion nocturne des fêtards.
En haut, au bout des escaliers, il y a une petite cité, trois barres. Au dessus, on est dans la montagne du quartier Trénelle. Quartier de déplacés [de l’intérieur] qui se sont installés là, auto construction à flanc de montagne [Trenelle est un exemple connu d’auto-construction autorisée et accompagné par la puissance municipale, à partir d’Aimé Césaire]. Une rocade coupe le quartier en deux, mais en fait, Trénelle jouxte les Terres St Ville. Au pied des barres, un petit parc, où se tiennent des jeunes sous un abri en bois, bricolé. J’essaye d’aller les voir [nous les avons croisés lundi], ils ne sont pas là, et le lendemain refusent de me parler. Ce parc s’appelle Square du 22 mai, jour de l’abolition de l’esclavage, une statue rappelle l’événement.
L’après midi est faite d’attente. Mais au bout de cette attente, la parole vient. Il y a de toute manière un contresens dans la situation temporelle où nous sommes. Le temps dont nous disposons est trop court pour qu’une confiance ouverte s’installe, qui permette de créer ensemble.